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12/07/2019

On ne veut plus rien aujourd’hui que par extrait ; et voilà pourquoi on n’a pas fait un bon ouvrage, depuis trente ans

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

6 juin [1764] 1

Anges célestes, quoi ! je ne vous ai pas mandé que Cornélie chiffon, que Chimène marmotte nous avait donné une fille ! il faut donc qu’il y ait eu une lettre de perdue, avec un petit cahier pour la Gazette littéraire. J’envoie ce paquet-ci, pour plus de sûreté, par M. le duc de Praslin, à qui je l’adresse. Il n’est pas douteux que M. l’abbé Arnaud aura un Corneille, aussi bien que les héros et les héroïnes tragiques . Mais il fallait que le ballot arrivât, et il faut 2 que les exemplaires soient reliés. Je n’ai pas la moitié, à beaucoup près, des exemplaires que j’avais retenus.

Si vous êtes curieux mes anges d'être au fait voici une lettre qui vous dira à peu près le mot de l'énigme 3. Elle est écrite à mon clerc par ce Guy Duchesne, libraire au temple du dégoût 4.

Vous n'aimez pas l’exterminé ni moi non plus . Puisque vos mains angéliques collent si proprement de petits papiers, eh bien collez donc celui-ci :

ANTOINE

Madame, il n'est plus temps, je n'en suis plus le maître,

Son trépas importait à notre sûreté,

Et l'arrêt aujourd'hui doit être exécuté . 5

Oui, je mourrai dans l’opinion que c’est une barbarie welche d’étrangler, de tronquer, de mutiler les sentiments . C’est l’Opéra-comique qui a mis à la mode cette abominable coutume. On ne veut plus rien aujourd’hui que par extrait ; et voilà pourquoi on n’a pas fait un bon ouvrage, depuis trente ans, en prose ou en vers. O Welches ! vous êtes dans la décadence, et j’en suis bien fâché.

J’ai mis enfin M. de Chauvelin, l’ambassadeur, dans la confidence de la conspiration. J’exige de lui et de madame sa femme le serment de ne rien révéler, mais mon paquet sera assurément ouvert par M. le comte de Viry 6. Voilà à quoi on est exposé dans les grandes affaires.

Je vous remercie bien, mes anges, des espérances que vous me donnez pour mes dîmes. Si je triomphe de l’Église, ce sera de votre triomphe. L’Église et le parterre sont des gens difficiles.

J’écrirai à M. de Lorenzi 7 et à M. Béliardi 8, s’il ne me vient rien par la voie de Cramer. M. Algarotti, qui m’aurait tout fourni, vient de mourir 9.

J’ai eu l’honneur de voir aujourd’hui Mme de Pusigneu 10 ; elle a voulu que je la reçusse en bonnet de nuit et en robe de chambre. Ma fluxion a un peu quitté mes yeux pour se jeter sur tout le reste. Je suis l’homme de douleur 11; mais je souffre le tout assez gaiement : c’est le seul parti qu’il y ait à prendre dans ce monde. Avez-vous vu les propositions de paix que m’a faites maître Aliboron 12, et ma petite réponse ?

Portez-vous bien surtout, mes divins anges. Ayez la bonté de présenter mes très sincères remerciements à M. Arnaud. Pardon.

V. »

1 Date complétée par d'Argental .

2 V* a ajouté il faut au-dessus de la ligne .

3 Lettre qui ne nous est pas parvenue , mais voir la réponse donnée à propos de la lettre du 21 mai 1764 à Damilaville [ http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/20/d-pourquoi-dieu-vous-a-t-il-cree-et-mis-au-monde-r-pour-le-servir-et-pour-e.html ] et surtout la seconde lettre signée Wagnière manifestement dictée par V* : « 4è juin 1764 aux Délices / « Monsieur, / « M. de Voltaire est toujours malade ; il vous prie très instamment pour votre intérêt, et un peu pour son honneur, de n'imprimer les pièces de théâtre qu'il a eu le malheur de faire à ce qu'il dit que suivant l’édition de Genève. . On avait horriblement mutilé à la comédie Le Droit du Seigneur par des scrupules chimériques qui ont disparu depuis . On avait aussi mutilé Zulime . Vous sentez combien il est désagréable pour l'auteur , pour le public et pour vous , d'imprimer la mauvaise leçon, tandis que l'auteur a fait lui-même imprimer la bonne . Il n’y a certainement d'autre remède que de substituer dans votre recueil, la bonne édition à la mauvaise, en vous servant de l'édition Cramer . M. de Voltaire vous offre de vous dédommager de vos frais, et il se flatte que vous ne ferez aucune difficulté de prendre un parti si raisonnable . La route de Dijon est très lente et très incertaine, celle de Lyon la plus commode et la plus sûre . J'ai l'honneur d'être bien véritablement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur / Wagnière. »

4 Pierre Guy travaille pour les Duchesne, au Temple du Goût .

5 Ces vers figuraient au premier acte d'Octave, dans une scène supprimée ensuite . Depuis Si vous êtes curieux … , le passage biffé sur la copie Beaumarchais, manque dans les éditions ( voir :http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/08/correspondance-annee-1764-partie-19.html )

6 François Joseph, comte de Viry, ministre des Affaires étrangères de Sardaigne depuis mars 1764 .

7 Le comte Luigi Lorenzi, ministre de France à Florence .

8 Agostino Beliardi, agent de Choiseul en Espagne .

10 Une des nièces du comte d'Argental qui a épousé Boffin d'Argenson, marquis de Pusigneu .

11 Isaïe, LIII, 3-...

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